mardi 1 avril 2014

Le bestiaire du parfumeur: les matières animales

Notre palette se compose d’environ 4000 matières premières (des naturelles et synthétiques) et avec elles autant de combinaisons possibles.
Parmi elles, la bête noire des bonnes manières: les matières animales.
Madame Civette et Monsieur Casto sont les must have de la palette de tout parfumeur; on ne les présente plus. Ils nous plongent dans les ébats sensuels de Guerlain depuis que le monde est monde.
Au fil des décennies, beaucoup de parfumeurs ont utilisé leur pouvoir de fixation et leur aura inimitable dans leur formule, assurant ainsi une touche de sensualité au sillage du parfum.

Cependant, avec la nouvelle vague bio et des comportements du genre "je suis un être responsable envers ma planète et du monde animal: je ne tue plus les moustiques,  je recycle mes canettes de lait de soja et je produis mon propre engrais (!!)" et dans cette ère de safe conscience attitude, plus personne ne veut que son parfum contienne des matières animales. 
C’est politiquement et cosmétiquement incorrect. 

"Oh grand diable, mon Shalimar contient de la civette! C’est répugnant!" s’insurge Barbara qui vient de découvrir la composition de son parfum préféré devant son steak tartare, quelle déguste allègrement pour célébrer l’achat de son nouveau sac en cuir pleine fleur. 
Qui de la civette, de l’agneau ou du steak a le plus souffert ? Hein ?
Comme pour un mouton qu’on neutralise pour prélever sa laine, la civette est elle aussi domestiquée pour que des petites mains viennent lui récolter en douceur quelques grammes d’elle-même. (On prélève la substantifique moelle odorante de ses glandes anales par curetage). 

Enlever la civette à Shalimar reviendrait à priver Charlotte de ses fraises.
Bon, je m’égare: ça sera le sujet d’un autre débat. 

Revenons à nos bestioles et à quelques instants de poésie.

Dans le monde merveilleux des odeurs nuisibles il existe là aussi d’autres naturels et des synthétiques au charme ravageur.
Voilà 4 perles qui apportent à nos créations une aura… bestiale.

Scatol. La note fécale par excellence. Difficile d'envisager un vocabulaire fleuri pour parler de m*rde. Au moins, tout le monde voit/ sent de quoi il s’agit. Le scatol est une molécule naturelle qui est présente dans l’absolue civette et immanquablement dans la crotte. On la trouve aussi, en trace, dans certaines reconstitutions de notes fleurs blanches (jasmin, tubéreuse, fleur d'oranger, narcisse...). Ça donne du naturel et ça habille la fleur.
Tout le monde a déjà senti un vieux jasmin fanant.
Olfactivement le scatol ça sent la merde quoi, avec toutes les sortes de nuances qu'on peut lui supposer; liquide, fruitée, pâteuse...
Je vous vois grimacer; j'arrête donc là.

Aldron (nom commercial)
Je ne sais pas s’il s’agit là de pur hasard mais Aldron est l’anagramme de lardon. 
Dans votre cuisine faites chauffer votre poêle à blanc, jetez y des dès de lardons Herta (nature) et vous sentirez dans les 10 premières secondes une odeur âcre et aigre (éventuellement celle des urinoirs). Vous ne penserez plus à "humm, les bons lardons"  mais à « Ah, le bel Aldron ».
Cette matière est très étonnante puisque certaines femmes la ressentent 100 fois plus puissante que les hommes. Elle parait tantôt boisée-rêche pour eux, tantôt oppressante voire menaçante pour elles, comme la présence d'un serial killer planqué sous leur lit.

le Costus. En essence ou en reconstitution, c’est une note épidermique de nuque grasse et de cheveux lourds et sales plaqués sur le scalp. Ça sent la peau moite sous les poils. On la perçoit entre deux notes aromatiques dans Scherrer 2, Vol de Nuit, Musk KK de Lutens, Kouros, Obsession (le féminin), Alliage Estée Lauder, Le Mâle

- Pierre d’Afrique. "Oud of Africa"
Une incroyable matière naturelle à la fois minérale et organique. Imaginez des petits rongeurs (Hyracéum) similaires à des marmottes qui creusent des souterrains dans la roche meuble et poreuse de Somalie et qui, nature oblige, ont besoin d’expulser leur surplus. Ce dernier imprègne lentement la paroi locale pour former une bouillie. Cette même coprolithe au fumet acide d'urine et de plastique fondu est extraite de la roche et ensuite distillée pour en obtenir un absolu. J’imagine la fierté de ces petits rongeurs qui voient partir leur crotte en absolu. 
C’est comme si on changeait leur bronze en or.

Moi, je suis un rebelle aux bonnes manières et à leurs dégénérescences.
J’utilise le casto et la civette en absolu ou en infusion, selon les projets. 
Une goutte d’absolu noyé dans de l'essence de bergamote, de la tonka, du patchouly et de la vanilline et on obtient une délicieuse onde sensuelle.

Je préfère le casto en absolu naturel qui est à mon sens bien meilleur (ses facettes cuirées naturelles, baumés et de bois cireux n'ont pas beaucoup d'équivalents dans les synthétiques). Bel Ami et Mitsouko sentent le casto, Antaeus et Allure Homme aussi.
Les reconstitutions de civette et de casto provenant de différentes maisons de parfumerie sont aussi à notre disposition. 
Les bases sont des compositions plus ou moins complexes, elles apportent un petit plus à chaque parfum, un peu comme un exhausteur d’arômes.
Elles habillent le parfum et enrichissent son volume et son sillage.
Les éloquentes bases Animalis, Civettarome, Muscarome de Synarome, Cuir de Russie ainsi que les Tonkitone, Chevral, Costus IFF, et d’autres petites merveilles fécales donnent une ampleur inégalée aux compositions de parfum (quitte aussi à leur apporter un petit coté vieillot).

Les matières naturelles animales viendront à disparaître petit à petit au profit de produits de substitution.
C'est ainsi.

6 commentaires:

  1. Aldron/lardon, voilà un bon moyen mnémotechnique :) Je ne connais pas cette matière mais elle a l'air bien intéressante... On pourrait ajouter à votre selection l'acide phénylacétique, matière totalement démente, dont l'odeur oscille entre le miel, l'urine, le purin, la transpiration... Une merveille de "note animale" quoi... . En plus, cet acide est une des matières les plus tenaces qui soient, à utiliser en traces uniquement : elle dure facile deux ans sur touche à 10% dans l'alcool... Autrement un mot sur l'acétate de paracrésyl, avec un départ phénolique-réglisse, et une suite chevaline, crottin à souhait :)

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    1. Hello Nicolai,
      Oui, Aldron est une matière intéressante mais très facettée. A utiliser avec précaution.
      Je suis sur qu'elle ne vous laissera pas de marbre.
      Si vous la sentez un jour revenez me donner vos impressions.

      Pour ce qui est des paracrésols and Co j'ai volontairement laissé cette famille de coté, je n'en suis pas fan mais ces matieres sont redoutables. L'acetate de paracrésyle est inévitable pour apporter cette note d'urine à Kouros...
      Et pour les notes acetiques et miel, beaucoup de gens les percoivent comme "sales"; pour moi elles sentent à la fois le bois ciré (plus ou moins vieux) et une note aigre. J'en suis pas fan non plus mais bien dosées elles peuvent etre "ravissantes" :)

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  2. Au fait, ce post est aussi un petit clin d'oeil au poisson d'avril...

    (Mais ces matières abordées ici existent bel et bien)

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  3. C'est dingue !!! Je serais curieux de découvrir tout ça...

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    1. Tu ne serais pas décu.
      Ces matières ont toutes quelque chose qui dérange/séduit/repousse/intrigue...
      Tout sauf le tiède.
      C'est un jeu tout ca :)

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  4. Arrête, tu me donnes encore plus envie !!!! Tu prends des stagiaires ?

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