jeudi 8 mai 2014

Ceci n'est pas un coup de gueule

Dans certaines parfumeries (ou autre boutiques de luxe) les employés vous font comprendre d'un simple regard que vous n’êtes qu’une pauvre petite poussière qui erre dans un monde merveilleux où Parfums, maquillages et cosmétiques hors de prix sont les maîtres des lieux. 
Vous entrez donc dans un monde doré qui n’est pas le vôtre. 
Comment osez-vous troubler la beauté des lieux avec vos sabots crottés et vos cheveux aux quatre vents ?
Impies, vous souillez le sacré ! 
Ici on vend du pur luxe et de la marque. Et ce luxe s'affiche et se paye.

Madame Schwartzkatzenberger et Monsieur Michou sont les sphinx des lieux*. Ils vous toisent avec un mépris mal dissimulé. C’est un air de circonstance, un air hautin naturel. Les sourires sont pincés et leurs regards sont suffisamment éloquents pour vous donner l’envie de rebrousser chemin et de ne jamais (oh non jamais!) penser à revenir.
Sur le coup je me demande si l’alcool des parfums évaporés dans l'air ambiant ne me fait pas halluciner. Suis-je tombé dans une branche extrémiste du Vatican, dois-je payer un droit d’entrée, faire un signe particulier, baiser le sol, revenir habillé en Prada?
Je fais un pas en avant et j’avale presque mon chewing gum (pas la noisette qu’ils réservent à leur clientèle ploutocrate).
Alors, je veux sentir le nouveau parfum d'Etro, puis le tout dernier Juliette Has a Gun, replonger dans Eau d’Hadrien et essayer le dernier Shalimar Ode à la Vanille du Mexique.
Ah, vous n’avez pas le testeur? Et c’est quoi ce flacon là sur l’étagère Guerlain? 
Soit elle me prend pour une bille soit elle ne connait pas la forme du flacon de Shalimar (!!).
J’opte pour ma première pensée.
J’en rajoute une couche en lui demandant les ingrédients de la composition. Elle réajuste ses binocles et tente de lire une étiquette au verso de l’emballage: alcool, fragrance, aqua, ethylhexyl methoxycinnamate, red4 (CI14700), yellow 5 (CI19140)… blablabla. 
C’est jouissif. Mais c’est pas moi qui ai commencé.
I’ll be back.
Force est d’admettre que cette parfumerie possède une très belle gamme de parfums mainstream et créations de niche. La tentation est toujours trop forte.
Alors, comme un mulet borné je renouvelle assez fréquemment cette même expérience en retournant dans la cage aux fauves (aventure momentanément douloureuse au seuil de la boutique mais ô combien jubilatoire).

Avec toujours cette même naïveté enfantine qui fait fi de ces gardiens asséchés je joue à leur propre jeu. Je les snobe avec panache et je trace vers le testeur qui m’intéresse. Parfois affolés par mon intrusion ils tentent une approche. C’est un effort surhumain que de daigner s’adresser à ma petite personne pour me proposer une aide. En fait, ce n’est pas moi qui les intéresse mais plutôt le vapo que je viens de saisir (voyant que je tiens dans mes mains de profane le saint Graal). Je prends alors ce même regard de dédain et je largue avec indifférence un "non, ça ne sera pas nécessaire"

Inutile de demander le moindre échantillon. Leur visage se crispe d'une profonde tristesse comme devant un frigo vide. Par le plus grand des hasards leurs tiroirs sont momentanément à sec (pour moi) alors que Madame Truc Muche de la Motte qui vient de se faire reluire le berlingot à la cire La Praire croule sous les fioles et autres petites attentions.

Après un petit tour dans l’arène, paumé dans mes mouillettes et le nez embué, je prends l’exit. J’évite soigneusement un "merci" et "au revoir chère madame, votre compagnie fut un moment exquis"
Un "ciao !" fera l’affaire.

Je comprends la pauvre Julia Roberts dans Pretty Woman lors de sa malheureuse séance de shopping sur Rodéo Drive. Heureusement tout fini bien pour la belle; il y a une justice qui s’appelle: "le fric c’est chic".

Ah le luxe...
C'est quoi le luxe?

On dit que l’argent n’a pas d’odeur mais c'est à cause de ce genre d’attitude qu’il aura trouvé la sienne.

*Une belle parfumerie à l’ancienne à Hambourg qui fait aussi institut de beauté.
(Les noms des vendeurs sont inventés).

13 commentaires:

  1. This is wonderfully written and resonates with me - I too have had shocking experiences at *that* perfumery in Hamburg (not to be confused with Harald Lubner, which offers exceptional service, by contrast).
    It is a wonder the sales staff at HH can even approach a customer... one would expect their bottoms are still clenching the couch cushions, which surely makes it difficult to cross a room.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Hi Dimi,
      I will not mention the name of the perfumery I am talking about here.
      You know it quite well, right? (And it would be too much publicity for them)…

      But, in Harald Lubner, which is 200 m from this hell, the people are lovely.

      Angelina is one of the sales ladies and she is so kind and friendly. She loves perfumes and she shares a lot with the customer. This place is perfect.

      Supprimer
  2. Visiblement, nous avons tous subi ce genre de déconvenue... Hélas... Ton post m'amuse beaucoup car ça sent la vieille chose cette boutique où on se fait reluire le berlingot. J'imagine que la jouissance est d'y retourner... N'aurais tu pas le fantasme de faire tomber quelques testeurs ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'aimerais bien être un vilain garçon mais je suis trop aimable pour ça.
      Sinon, je pourrais mélanger tous les testeurs, mettre Dior chez Chanel et Marc Jacobs chez Lutens…
      Mais je me contente de vaporiser les parfums sur les étalages, ça fait des taches et ca fâche. J’ai droit à des gros yeux de morues, comme ces vieilles institutrices acariâtres qui te font la leçon.
      C’est fun l’insolence !

      Supprimer
  3. Votre petite personne de plus d'1m90 tout de même ;-)) Mon cher Alex, c'est à peu près pareil dans bien des boutiques de luxe (mode, joaillerie, design, ce que vous voulez). C'est consternant. Comprenons que le luxe se doit adopter un air de mépris pour être luxueux – hors de portée. Toiser les "gens d'en bas" et autre quasi miséreux... Bande de !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C’est du faux luxe tout ça, du bling bling d’arriviste. Le plus navrant c'est que ces gens-là ne sont que le dernier maillon de la chaine. Ils vous donnent l’impression qu’ils sont à l’ origine de l’objet luxueux que vous achetez alors que non. Parfois ils n’y connaissent pas grand-chose à leur produit.
      Le luxe peut aussi passer par un sourire. Chez Hermès et Chanel (toujours à Hambourg) les vendeurs sont vraiment sympas et abordables. Ça fait plaisir et on repart avec ou sans achat mais en ayant l’impression d’avoir eu un échange intéressant.

      Supprimer
  4. Je meurs de rire sauf que... En fait, nous avons déjà tous connu ça! (Et là, c'est moins drôle.)

    Petite constatation, plus le magasin est véritablement luxueux et moins l'attitude est arrogante. Comme si c'était le demi-luxe inquiet et pas trop sûr de lui qui avait besoin de se rassurer en étant plus ou moins odieux de prétention et d'arrogance.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui Dau, mais c'est aussi culturel je pense.
      Dans cette boutique, les clientes sont elles aussi puantes de snobisme. Alors, ça devient contagieux et chacun joue au même jeu que l'autre. C'est mimétisme monogrammé. Ensuite, il faut voir aussi le manège dans le périmètre le samedi après-midi. As-tu vue ma grosse cylindrée qui fait vroom vroom, mon manteau en rat mort et mon sac d’autruche à 20000 ?
      Quel drôle de cirque.

      Supprimer
    2. En effet. Bien observé :) Plus le luxe est luxueux, plus il "sait" se mettre au niveau du simple quidam, comme pour se faire pardonner, se faire dédouanner d'être aussi argenté, aussi inaccessible. C'est comme les personnes d'une beauté extrême : ils sont souvent sympathiques – ce qui n'est pas le cas des gens du niveau d'en-dessous, qui eux se prennent la plupart du temps pour des demi-dieux (si c'est pas des dieux entiers. C'est vrai pour les deux sexes, évidemment ;)

      Supprimer
    3. Merci Nicolaï pour votre intervention.

      J’ai aussi remarqué que si vous êtes beau/belle on vous pardonnera tout. On vous trouvera aussi plein de qualités.
      Mais, les jaloux diront que vous êtes beau/belle mais creux.

      Entrez justement dans une de ces boutiques de luxe quand vous êtes une beauté et vous aurez toutes les attentions imaginables. J’ai fait cette expérience avec un ami mannequin et nous sommes allés dans la parfumerie dont je parle dans ce post.
      Inutile de dire que le reste autour de lui (nous en l’occurrence) était invisible alors que lui était l’astre du magasin.
      Si vous êtes petit(e), esthétiquement ordinaire et dans la moyenne (et pourtant sympathique), on vous laissera dans votre coin.
      Le luxe et la beauté ce sont des aimants.

      Supprimer
    4. Tout à fait. La société de l'image dans laquelle on se trouve plus que jamais, valorise la beauté – l'apparence – parfois de manière disproportionnée, exagérée. Les beaux et les belles ont un avantage absolu dans nombre de situations, de contextes. Tout leur est plus facile. Raison pour laquelle ils se sentent un peu obligés d'être sympathiques – il y en a même qui sont timides (j'ai côtoyé pas mal de mannequins dans mes années "photographie de mode"). Heureusement ils vivent statistiquement moins longtemps, ont un QI légèrement inférieur à la moyenne, et souffrent secrètement de problèmes gastriques récurrents. Ouf, on respire ;)

      Supprimer
  5. Moi, je suis moyennement d’accord avec tout ça. Personnellement, et ça vient à l’encontre des propos de Dau sur les magasins luxueux, je n’ai jamais été bien accueilli au 24, Faubourg d’Hermès. Le bonjour semble être en option chez tous les vendeurs et leur arracher un sourire est quasiment mission impossible. Enfin, pour ma part, j’ai échoué à tous les coups et ça fait longtemps que j’ai décidé de ne plus tenter ma chance. A l’inverse, d’autres boutiques Hermès se sont montrées nettement plus accueillantes. Faut-il en déduire que les vendeurs du 24, Faubourg reçoivent des consignes pour être le plus détestable possible ? Le client mystère noterait donc très négativement le vendeur s’il avait été reçu avec tous les égards. « Mon Dieu, il a osé me sourire, c’est direct -5 sur sa note et en plus, il me remercie pour mes achats !!! (smiley tête de mort)»

    A mon sens, tout n’est pas tout noir ou tout blanc. En règle générale, il n’y a pas ségrégation envers ceux qui ont moins d’argent ou qui ne ressemblent pas à un top modèle. Il y a juste des vendeurs (et tout simplement des gens) odieux (pour ne pas dire autre chose) et d’autres sympathiques, que ce soit chez Hermès ou l’épicerie du coin. La fibre commerciale, on l’a ou on l’a pas …

    Loulou Blue

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui Loulou Blue, tout à fait de ton avis.
      La fibre commerciale on l'a ou pas. Certaines personnes sont naturellement souriantes et avenantes. Et si en plus elles ont la “tchatche” et le sens de l’accueil c’est un plus pour une marque.
      Mais à l’inverse il y’en a d’autres qui sont aussi aimables qu’un zombie. Ceux-là ne devraient pas se trouver face à la clientèle, c’est une erreur stratégique.
      Et, quand on est bien accueilli et conseillé par qui que ce soit (parfumerie ou épicerie du coin) on a envie de revenir. Pas vrai ?
      Et il est sympa ton boulanger ?

      Supprimer